Revue Vigneron n°40

RéenchanterDepuis quelques années, dans l'entre-soi des oenophiles patentés, on s'adonne à un petit jeu qui n'a rien de drôle, le Bordeaux bashing.Dans un pays où l'on aime couper les têtes, l'aristocratie du bouchon était toute désignée pour en prendre pour son grade. Et tant pis si les grands crus ne représentent que 3 % du bordeaux et si l'on sacrifie sur le même autel des idées reçues 97 % des autres.Face aux préjugés, nous avons pris le chemin du vignoble. Car les vins, dans leur multitude, sont autant de gorgées de réponse aux détracteurs de Bordeaux: ici aussi des terroirs, une pensée vigneronne et un réveil des consciences environnementales. Château Latour ne vient-il pas d'accueillir des Assises de l'agroécologie? Le goût de Bordeaux a collectivement façonné notre amour du vin. Pourtant, étrange paradoxe, au moment même où ses crus entamaient une spectaculaire progression, l'amateur déclarait que non, décidément, il s'ennuyait ferme. Les prix prohibitifs seraient une raison de ce désamour: Bordeaux est-il le seul vignoble dont l'élite affiche des tarifs à trois chiffres? On évoque encore l'uniformité du goût. Uniformité, vraiment, entre les sols de graves d'un Haut-Brion et l'argile d'un Petrus?Dans cette affaire, Bordeaux a-t-elle des torts? La réponse est oui. Ce bashing est-il justifié? La réponse est non. Aucun autre vignoble n'a eu à subir une telle cabale, issue même de ses rangs: certains restaurateurs bordelais refusent ainsi obstinément de mettre du bordeaux à leur carte. Ce sont les mêmes qui se rengorgent de quelques vins nature de derrière les fagots qui ont l'insigne caractéristique de tous se ressembler, jus falots sans identité. Uniformité disent-ils: oui, à deux poids deux mesures...En Aquitaine, une jeune génération se lève, elle nous réserve, dans le creux de ses fûts, des vins de réconciliation avec un Bordeaux retrouvé. Dans le même temps, les grands crus classés doivent se positionner au-dessus des querelles et hors des modes. Est-ce à dire qu'ils peuvent rester sourds au monde qui s'avance? Non, bien sûr. Il leur faudra âtre les ténors de la défense de Bordeaux, porter ce réenchantement, ne plus exister comme « marque » mais comme valeur dans un monde qui en manque cruellement, désacraliser, dépoussiérer. Mais le consommateur, s'il a toujours raison, doit aussi faire un pas, réapprendre, par exemple, les vertus de la patience: n'en déplaise aux impétueux, c'est en vieillissant que le vin affiche ici la patine de son accent et ses inimitables arômes. Au fil des siècles, Bordeaux a toujours trouvé sa voie. Il y a fort à parier que le XXIè ne fera pas exception.Edito de Oriane Nouailhac